La France insoumise et le « retour de la vieille politique »

 

Un spectre hante La France insoumise (LFI) : le spectre du débat démocratique, pour lequel elle n’est pas préparée. Les plébéiens demandent à leur tribun de clarifier ses discours : faut-il renoncer à « fédérer le peuple » et à appliquer la stratégie « plan A/plan B » pour changer l’Europe ?

La maxime « fédérer le peuple » est l’antithèse du traditionnel « rassembler la gauche ». Elle repose sur l’idée que les partis de l’ancienne gauche se sont discrédités en participant à des majorités ayant appliqué des politiques conformes aux textes ordolibéraux européens [l’ordolibéralisme fixe pour mission à l’Etat de créer les conditions d’une concurrence « libre et non faussée »].

C’est la raison pour laquelle LFI s’adressait, avec un succès naissant, au peuple français, et non aux partis de ladite « gauche ». Elle lui proposait d’abord de désobéir à ces textes pour appliquer le programme « l’Avenir en commun » dans le cadre de l’euro, en engageant un bras de fer pour obtenir une modification des textes incriminés. C’était le « plan A ». En cas de refus des autres Etats, un « plan B », impliquant une sortie de l’euro, voire de l’Union européenne, serait déclenché.

D’un point de vue rhétorique, l’épouvantail du plan B permettait de s’adapter à tous les auditoires. Pour rassurer les proeuropéens, le plan B était présenté comme la menace crédible obligeant les partenaires européens à accepter le plan A, afin d’éviter l’éclatement de la zone euro. Assimilant la souveraineté populaire à celle des Etats (l’existence d’un peuple européen étant jugée, pour l’heure, hypothétique), le plan A écartait toutefois la perspective d’une Assemblée constituante européenne, jadis défendue par le tribun.

Voilà également pourquoi une démocratisation des institutions, transitant par le renforcement du pouvoir du Parlement européen, au détriment de celui des Etats au Conseil – et donc de l’Allemagne –, n’était pas envisagée.

Un plan B passé sous silence

Dans les « sommets » pour le plan B, organisés pour mobiliser les partisans de la sortie de l’euro, celui-ci était au contraire l’objectif ultime, tant les modifications nécessaires au plan A étaient et restent inconcevables pour l’Allemagne. Mais LFI avait-elle réellement l’intention, en cas de victoire, d’appliquer ce plan B ?


LE CHIFFRAGE DU PROGRAMME FUT INTÉGRALEMENT RÉALISÉ DANS LE CADRE DE L’EURO

Lors de la campagne présidentielle, aucune évaluation d’une sortie de l’euro n’était commandée par le candidat. Quels taux d’intérêt ? Quel taux de change de la future monnaie nationale ? Quelle inflation importée, induite par sa dévaluation ? Faut-il laisser flotter la nouvelle monnaie ? Faut-il créer une monnaie nationale articulée avec une monnaie commune, et avec quels partenaires ? Rien de tout cela n’avait été mis à l’étude.

Le chiffrage du programme fut intégralement réalisé dans le cadre de l’euro. Lors de sa présentation, consigne fut donnée par la directrice de communication du candidat, désormais chargée de la coordination de la campagne pour les élections européennes de mai 2019, de passer sous silence le plan B.

Le discours « plan A/plan B » n’était-il alors qu’une posture électoraliste ? Le plan B permettait de rassurer la base souverainiste du Parti de gauche (PG), principale composante politique de LFI, et de ratisser les électeurs « anti-européistes ». Depuis, le Rassemblement national lui-même a abandonné l’idée d’une sortie de l’euro et l’heure est, pour LFI, au lancement d’une campagne commune avec des mouvements « frères » du sud de l’Europe, favorables à l’euro. Le plan B est donc devenu caduc.

Dès lors, en l’absence de toute menace sérieuse de sortie, assimilable à la « politique de la chaise vide » menée en son temps par le général de Gaulle, changer l’Europe dans le cadre de l’euro – si telle est désormais la ligne – devient hypothétique. Il faudra, de fait, se résigner au statu quo intergouvernemental actuel, dans le cadre duquel les Etats négocient tant bien que mal leurs demandes de dérogation au pacte de stabilité et de croissance ou de clauses d’exemption.

Rhétorique de l’unité

Derrière cette posture désinvolte et inoffensive à l’endroit de l’Europe, se cache l’unique obsession du tribun de LFI : asseoir son hégémonie sur ce qu’il reste de son ancien camp. Dans sa conférence préliminaire au congrès du PG de juin 2018, il fixait le cap en vue des prochaines échéances européennes, municipales, départementales et régionales : « Plus vite nous aurons repris le leadership à gauche, plus vite nous pourrons réemployer le mot gauche. » La stratégie populiste est donc mise en jachère au profit d’un retour à la rhétorique de l’unité, dérivée de la stratégie d’union de la gauche, dont usait jadis François Mitterrand pour réduire l’influence du Parti communiste.


CELA CONSISTE À “ACHETER LES PARTENAIRES PAR APPARTEMENTS” POUR LES RÉDUIRE ENSUITE À L’IMPUISSANCE POLITIQUE

La technique est éprouvée. Utilisée par les socialistes avec les ministres communistes, puis écologistes, elle consiste à « acheter les partenaires par appartements », pour les réduire ensuite à l’impuissance politique, tout en veillant à prévenir toute possibilité de collusion entre eux. On prendra soin pour cela de traiter bilatéralement avec chacun, voire d’opposer les uns aux autres, lors de « l’achat » du bien, au prix fixé par l’acquéreur.

Dans son patrimoine en voie de diversification, ce dernier aura évidemment intérêt à consolider le noyau dur de sa holding afin d’en conserver le contrôle. Ainsi, tandis que les premiers de la cordée européenne du tribun appartiennent à sa garde rapprochée, dix places ont été gelées par l’intendance pour les futurs débauchés de la vieille gauche, tandis que des commis s’activent déjà en cuisine pour les prochaines échéances locales…

Ce virage s’avère pour le moins risqué. Outre que l’influence de LFI reste émergente et qu’elle ne parvient pas à briser le plafond de verre de la crédibilité, le périmètre de ce qui reste de la gauche est désormais réduit. Ce retour de la « vieille politique », agrémenté de la comédie du plan B, n’augure aucunement d’une rupture avec « l’ancien monde ».


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