La taxe carbone : de la théorie à la pratique…

Remise au goût du jour par une note du Conseil d’Analyse Economique (CAE), la taxe carbone est l’étendard sanglant de la fiscalité écologique libérale. Incarnée par la Contribution Climat Energie (CCE), « composante carbone » de la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers, elle fut créée en 2014 par Ségolène Royal. Les lois de finance successives devaient en augmenter progressivement le niveau. D’un montant de 7 euros par tonne de CO2, elle est passée à 14,5 euros en 2014, 22 euros en 2015, 30,5 euros en 2017, 44,6 euros en 2018. Elle devait être fixée à 55 euros en 2019, 65,4 euros en 2029 et 100 euros en 2030.

La taxe carbone est inspirée des travaux de l’économiste néoclassique Arthur Pigou qui proposa, en 1918, une taxe sur la pollution. Dans cette littérature, la pollution est une externalité négative sur les marchés, c’est-à-dire une nuisance engendrée par certains agents économiques, sans compensation pour les autres agents. Pour surmonter cette défaillance du marché, la taxe a pour objectif de renchérir l’usage des biens engendrant l’émission de gaz polluants. Elle envoie alors un signal prix conduisant les consommateurs à se détourner de l’acquisition des biens polluants. Les entreprises fabricant ces biens polluants sont perdantes. Le bien-être des victimes de la pollution s’améliore. L’efficacité du signal prix est tributaire de la capacité financière des ménages à substituer à l’usage de biens polluant des biens non-polluants. Le succès de cette taxe se mesure donc à l’aune de la décroissance de la consommation de produits polluants qu’elle a pour but de dissuader. Elle est donc inversement proportionnelle aux recettes procurées par la taxe.

Un gouvernement ayant foi en l’efficacité du signal prix ne saurait compter sur les recettes de cette taxe pour construire son budget. Or, ce signal prix opère-t-il ? Le rendement de la CCE fut de 3,7 milliards en 2018…  Le produit de la fiscalité écologique pourrait certes être affecté au financement de la transition écologique, comme le suggère le CAE. Mais ceci est loin d’être le cas. Sur les 40 milliards de la TICPE, seulement 7 milliards sont consacrés à la transition écologique. Le reste finance une partie du RSA, des aides aux entreprises et le CICE, auquel furent affectés en 2016 la quasi-intégralité des 3,6 milliards de recettes de la CCE !

Les éco-taxes sont par ailleurs des impôts indirects proportionnels, c’est-à-dire des « Flat tax » aussi injustes que la TVA et la CSG. Ils ne sont pas majoritairement dédiés à la transition écologique et leur effet sur les comportements est peu probant. Pour faire aboutir la transition écologique, modifier le comportement des individus sur les marchés est insuffisant et est d’ores et déjà vécu comme une écologie punitive. Le marché des droits à polluer des entreprises, mis en place à l’échelle européenne, n’est pas plus efficace. Des investissements publics massifs, financés par l’emprunt et par un impôt juste sur le revenu et le patrimoine, sont indispensables pour organiser la transition énergétique. Sources de créations massives d’emplois, ils permettraient d’améliorer les fins du mois tout en évitant la fin du monde.

 

Chronique de Liêm Hoang Ngoc (Maître de conférences à l’Université de Paris 1)

Parue dans Politis, 4 avril 2019