La France n’est pas la Grèce : la comparaison aventureuse du Premier ministre

Note de Liem Hoang-Ngoc, secrétaire national à l’économie, 18 juillet 2025

Pour justifier son plan d’austérité, le Premier ministre brandit le spectre d’un scénario à la grecque. La France serait, dit-il, au bord du précipice pour avoir financé à crédit un modèle social favorisant la préférence pour le loisir. Les marchés ne lui prêteraient plus qu’à des taux prohibitifs, rendant la charge de la dette insupportable. Comme le gouvernement d’Alexis Tsipras, la France n’aurait alors d’autre choix que de se plier à terme à une saine cured’austérité. Ce traitement serait tellement bénéfique que la Grèce emprunterait elle-même désormais à des taux d’intérêt inférieurs aux taux auxquels se finance la France ! Ce récit exagéré est erroné n’a d’autre but que d’effrayer les Françaises et les Français afin de leur faire avaler la motion amère concoctée le 15 juillet.

La persistance d’un endettement public important n’est pas due à une inflation de dépenses publiques, mais à une perte de recettes fiscales (60 milliards par an selon la Cour des comptes) liées aux baisses d’impôts réalisées depuis 20171. Contrairement aux affirmations du Premier ministre, la productivité du travail en France reste l’une des plus élevées au monde, tandis que la durée habituelle du travail à temps complet (38,9 heures hebdomadaires) et à temps partiel (23 heures) se situe dans la moyenne européenne.

La France n’est pas la Grèce. Notre administration est autrement plus efficace en matière de recouvrement fiscal. Le PIB français est 10 fois plus important que le PIB grec, avoisinant les 300 milliards d’euros et n’ayant toujours pas retrouvé son niveau de 2009. Avant l’arrivée au pouvoir de Tsipras, la Grèce s’endettait au taux d’intérêt prohibitif de 30%. Elle était donc condamnée à demander assistance à l’Union européenne pour pouvoir financer son budget à des taux raisonnables, en acceptant les diktats de la troïka. Si les taux grecs à 10 ans sont, de nos jours, redescendus à 3,4%, c’est que seulement 20% de la dette grecque est levée sur le marché. La majeure partie de cette dette, qui s’élève encore à 153% du PIB (contre 114% du PIB en France et 135% du PIB en Italie), est cantonnée et rééchelonnée dans le cadred’accords avec le FMI et les institutions européennes.

Pour sa part, le taux d’intérêt nominal du titre souverain français à 10 ans est actuellement de 3,39%. Il doit être comparé aux taux allemand (2,69%), espagnol (3,3%), italien (3,57%) ; tous sont inférieurs au taux américain de 4,4% ! La note attribuée par les agences de notation reste bonne, compte tenu de la réputation de la France. L’épouvantail d’un accroissement de la charge la dette, brandi par le Premier ministre, n’effraye plus, dès lors qu’il est mis en rapport avec le PIB. Le ratio (charge de la dette/PIB) s’est ainsi tendanciellement réduit de 1994 à 2020, malgré la montée du taux d’endettement public, car les taux d’intérêt étaient alors inférieurs au taux de croissance du PIB – la dette ne faisant

« boule de neige » que lorsque les taux d’intérêt sont supérieurs au taux de croissance du PIB. Ce ratio s’est accru pendant la crise COVID en raison d’une chute de 7,8% du PIB en 2020. Mais il s’est immédiatement réduit en 2021 de 118% à 112% du PIB, suite au plan de relance, car la forte croissance (6,8%), induite par le « quoiqu’il en coûte » de 2021, a engendré les recettes fiscales permettant de réduire immédiatement le stock de dette. En 2025, la charge de la dette rapportée au PIB est à nouveau susceptible de s’accroître parce que le taux d’intérêt réel auquel emprunte la France excède désormais le taux de croissance de la richesse produite. Compte tenu de l’inflation, estimée à 1% en 2025, le taux d’intérêt réel auquel s’endette la France est de 2,39%, alors que l’économie ne croîtra, selon la Banque de France, qu’au rythme de 0,5% en 2025. Dans la mesure où la loi de finance 2025 a été établie avec une hypothèse de croissance de 0,9%, les recettes fiscales escomptées ne seront donc pas au rendez-vous et l’objectif d’un déficit de 5,4% en 2025 est d’ores et déjà compromis. Si des mesures d’austérité défavorables à l’activité était prises en 2026, la croissance resterait inférieure à l’objectif de 1,2%, prévu dans la Plan structurel de moyen terme. Le chômage s’accroîtrait et l’objectif fixé par François Bayrou d’un déficit public de 4,6% du PIB serait inatteignable…

Pour briser ce cercle vicieux, dans une conjoncture dégradée, la voie la plus judicieuse serait, à tout le moins, d’éviter de compromettre la reprise par un ajustement austéritaire, tout en privilégiant des mesures fiscales mettant à contribution les hauts patrimoines et les hauts revenus qui ont explosé et dont la part consacrée à l’épargne financière est élevée. Le Premier ministre serait par conséquent bien inspiré de revoir sa copie et d’éviter les comparaisons les plus désobligeantes à l’endroit de la réputation de la France..


1 Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Rago, Raoul Sampagnoro, Xavier Timbeau, « Quelles trajectoires pour les finances publiques de la France, Document de travail de l’OFCE, n° 13, 11 juillet 2025.