L’Italie n’a pas de plan B

Ancien député européen, l’économiste Liêm Hoang Ngoc était « orateur national » de La France Insoumise en 2017. Il analyse le bras de fer Rome-Bruxelles.

 

Marianne. Le gouvernement italien semble ne pas vouloir se soumettre à l’injonction de la commission européenne de revoir son projet de budget 2019, qui prévoit un déficit public en forte hausse. Mais, désobéir à la Bruxelles, désobéir aux traités européens,  n’est-ce pas ce que pensait faire la France insoumise si Jean-Luc Mélenchon avait été élu en 2017 ?

Liêm Hoang Ngoc :  Oui, le programme « l’Avenir en commun » prévoyait une politique de relance avec un déficit courant de 4,2% la première année. Il aurait donc fallu déroger au pacte de stabilité. Le déficit structurel se serait accru, ce qui est aujourd’hui reproché aux Italiens, bien que leur déficit public 2019 soit inférieur à 3% du PIB. La Commission s’appuie sur un texte adopté en 2011, le « six pack », qui fixe un objectif de réduction du déficit structurel de 0,5 point par an pour atteindre un objectif de 1% du PIB. Il s’agit d’un ensemble de 5 règlements et une directive sur lequel s’appuie Pierre Moscovici. Cet objectif était jugé encore trop laxiste par Angela Merkel qui, un an plus tard, a imposé l’objectif d’un déficit structurel de 0,5% du PIB dans le traité budgétaire de 2012, dit TSCG.

Déjà en 2011, l’Italie est en première ligne dans la crise de l’euro…

Tous les Etats avaient creusé leurs déficits budgétaires pour sauver les banques de la faillite, et Bruxelles leur a ensuite imposé l’austérité. L’Italie subissait une spéculation des marchés sur sa dette souveraine. A l’époque, les tenants du G7 s’étaient ligués pour évincer  le président du conseil italien Silvio Berlusconi et imposer un retour à la rigueur. Aujourd’hui, avec le « six pack », la Commission ont la possibilité de sanctionner l’Italie à hauteur de 0,2% de son PIB, (soit environ 4  milliards d’euros). Cette sanction prend tout d’abord la forme d’un dépôt avec intérêts auprès de la Commission. Si l’Italie persiste, le dépôt devient sans intérêts. Si elle persévère, il se transforme en amende. La sanction est quasi-automatique puisqu’il faut que Rome puisse réunir une majorité qualifiée pour s’y opposer. Ce qui est impossible sans l’aval de l’Allemagne …

Mais comment vous, la France insoumise, envisagiez vous la confrontation avec les institutions européennes ?

Notre arme de dissuasion s’appelait le plan B. La renégociation des traités ne pouvait à nos yeux aboutir sans la menace crédible d’une sortie de l’euro de la France. Ceci devait amener l’Allemagne  et les autres partenaires à accepter de réviser les textes nous empêchant d’appliquer notre programme. En cas de refus ou de sanction, le plan B devait être activé. La sortie de l’euro nous aurait placé dans une situation comparable à celle du Royaume-Uni qui, Brexit ou pas, est resté maître des sa monnaie et de son budget. Le gouvernement italien déclare pour sa part vouloir rester dans la zone euro. Sans plan B, on voit mal comment il empêchera la Commission d’imposer l’application des textes en vigueur.

Jean-Luc Mélenchon soutient la position de Rome mais n’évoque pas le plan B ?

L’argument de Jean-Luc Mélenchon est que la Commission abuse car l’Italie respecte les traités puisque son déficit courant prévu reste inférieur à « 3% ». Ignore-t-il que les nouveaux textes imposent également une réduction du déficit structurel et que l’Italie, à cette aune, n’est pas dans les clous ? Ou bien cela l’arrange-t-il d’occulter ce motif de divorce avec la zone euro pour ne pas effrayer ses alliés pour les élections européennes, en particulier les Espagnols de Podemos et les Portugais du Bloco, farouches partisans de l’euro. L’accent mis sur le Plan B a curieusement disparu de sa communication.

Mais la situation politique n’est-elle pas différente. En fait la commission est en fin de vie, et il y a une énorme hypothèque sur  ce que seront les pouvoirs européens après les élections au Parlement de Strasbourg en mai 2019 ?

Certes,  mais le nouvel arsenal législatif et le poids de l’Allemagne au Conseil permettent plus que jamais à la Commission de sanctionner Rome. Ce qu’elle ne fait pas avec les pays qui ne respectent pas à la lettre ces textes mais qui appliquent ses recommandations.

Propos recueillis par Hervé Nathan