Liêm Hoang-Ngoc, économiste, ancien député européen, Olivier Spinelli, ancien porte-parole des Socialistes insoumis, et DamienThomas, directeur des Rencontres pour une culture populaire de Bordeaux, expliquent les raisons de leur soutien à Arnaud Montebourg pour sa candidature à l’élection présidentielle
Proches du regretté Henri Emmanuelli, nous avions quitté le Parti socialiste (PS) en 2015, puis formé l’association des Socialistes insoumis, anciennement Nouvelle Gauche Socialiste, pour travailler en vain à l’émergence, au sein de La France Insoumise, d’un mouvement ayant pour vocation de porter la parole des classes populaires. Nous nous engageons aujourd’hui auprès d’Arnaud Montebourg, dont la candidature à l’élection présidentielle fait renaître l’espoir de fonder une Sixième République, démocratique et sociale.
Une candidature de plus ? Non ! La multiplicité des prétendants est à tort présentée comme la cause de l’absence probable de la gauche officielle au second tour de l’élection présidentielle. Le mal est plus profond. Le candidat commun issu d’une hypothétique primaire de la gauche constituée ne se qualifierait probablement pas, tant il peinerait à remobiliser les classes populaires, enclines à l’abstention ou tentées par le vote extrémiste. Un détour par l’Histoire permet de comprendre les raisons de ce divorce entre la gauche et le peuple.
RÉPUBLIQUE ET SOCIALISME, LES PILIERS
La gauche en France est née le 11 septembre 1789 lors de l’Assemblée constituante, au cours de laquelle les députés favorables au droit de veto du roi se placèrent à droite de Louis XVI, laissant leurs opposants siéger à sa gauche. Partisane de la République, la gauche milite alors en faveur de l’universalité des droits et l’abolition des privilèges. Ce moment révolutionnaire est fondateur de la nation française moderne, qui s’est ensuite consolidée sur le socle laïc de la séparation de l’Église et de l’État.
« Le tournant de la rigueur est précisément à l’origine du fossé qui ne cessera de se creuser entre la gauche et l’électorat populaire, au cours d’une parenthèse libérale restée béante. »
Avec le développement du capitalisme, la gauche au vingtième siècle se structure autour de la question sociale, moment fort d’une lutte des classes dont l’issue serait le contrôle collectif des moyens de production. Le moyen d’atteindre cette fin, par la réforme ou par la révolution, est la pomme de discorde du congrès de Tour de 1920. La gauche s’y sépare en deux branches – socialiste et communiste –, qui partagent toutefois l’idée que la République et le socialisme sont les piliers qu’il convient de consolider en appliquant réellement les principes formels dont ils sont porteurs : l’égalité des droits, l’acquittement de l’impôt selon la faculté contributive de chaque citoyen, la rémunération de chacun selon son travail, l’accès au bien public selon ses besoins.
À la Libération, à la faveur du compromis noué avec les gaullistes contre l’ennemi, les communistes français rallient de fait la stratégie réformiste, incarnée par le programme du Conseil national de la résistance (CNR). Par la suite, les gauches socialiste et communiste s’avéreront conciliables au point d’accoucher d’un programme commun, copie conforme du programme du CNR et matrice de la politique menée de façon trop éphémère entre 1981 et 1983.
AVÈNEMENT DE LA « GAUCHE CULTURELLE »
Un tel projet n’est pas exactement celui de la deuxième gauche, qui l’appliqua avec une conviction mesurée – ses hérauts étant placés à des postes économiques clés (Jacques Delors aux Finances et Michel Rocard au Plan) –, avant de l’enterrer en 1983. Le tournant de la rigueur, opéré pour ancrer le franc au mark en vue du projet de monnaie unique – qui germait dans l’esprit de Delors –, est précisément à l’origine du fossé qui ne cessera de se creuser entre la gauche et l’électorat populaire, au cours d’une parenthèse libérale restée béante.
1983 marque la défaite de la première gauche, alors incarnée par Jean-Pierre Chevènement. La deuxième gauche déploie, depuis, un agenda économique et sociétal principalement audible par les classes moyennes supérieures des grandes villes. Née au tournant des années 1970, celle que le camp d’en face qualifie de « gauche bien-pensante » a gagné en influence au point qu’il est désormais convenu de la dénommer la « gauche culturelle ».
Girondine et fédéraliste, elle défend les identités locales traditionnelles ainsi que l’Europe des régions, fait primer l’équité sur l’égalité, a foi en la responsabilité sociale et environnementale des entreprises dans une économie de marché décentralisée et prétend porter des solutions sociétales progressistes. Politiquement hégémonique au PS et à EELV, la « gauche culturelle » milite désormais pour la convergence des luttes intersectionnelles, importées de la réalité communautariste états-unienne, et ne manque jamais d’essentialiser les rapports de race et de genre.
ACTE FONDATEUR : LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME
Pour le grand public, la taxe carbone, l’écriture inclusive, la discrimination positive, les réunions non-mixtes, les repas véganes dans les cantines et le revenu universel en sont les réalisations. La « gauche culturelle » inclut désormais une branche « insoumise », s’écartant dangereusement de l’universalisme auquel son fondateur était pourtant attaché. Son « Populisme de gauche » est un avatar de l’intersectionnalisme attrape-tout, lui-même résurgence du « tout ce qui bouge est rouge » des gauchistes soixante-huitards.
« Les tenants de « l’union des droites » pratiquent de fait un « communautarisme à l’envers », celui de l’Occident chrétien. »
Cultivant le droit à la différence plutôt que l’égalité des droits, la « gauche culturelle » a de surcroît abandonné le terrain de la laïcité à la droite et à l’extrême droite, qui prétendent désormais détenir le monopole des valeurs républicaines, tout en présentant trompeusement la laïcité comme la défense des traditions séculaires de la France. Les tenants de « l’union des droites » pratiquent de fait un « communautarisme à l’envers », celui de l’Occident chrétien. Ils récupèrent et galvaudent la laïcité, en faisant comme si aucune Révolution n’avait fondé la République sur un contrat social séparant les religions de l’État. À cet égard, il faut récuser la définition faite par général de Gaulle et reprise à souhait par Éric Zemmour, selon laquelle la France serait « un peuple de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-romaine ».
Il est indispensable de réaffirmer que l’acte fondateur de la République française, dont l’emblème est le drapeau bleu blanc rouge, est la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, marquant une rupture avec les régimes anciens. Depuis, le cheminement vers l’égalité des droits de tous les citoyens, quel que soit leur sexe, leur origine, leur religion, leur orientation sexuelle, en est le ferment. Pour faire face à toutes les discriminations, qu’elles soient racistes, homophobes, patriarcales ou sociales, la bataille permanente pour sa concrétisation est l’alternative à la méthode anti-universaliste et stigmatisante des quotas, avatar de la discrimination positive anglo-saxonne.
UNE FRANCE JACOBINE
Pour avoir délaissé le terrain de la République et du socialisme, les réponses de la gauche écolo-sociétale aux préoccupations économiques, sociales et régaliennes, prédominantes au sein des classes populaires, sont bien pauvres. Son socle sociologique est devenu trop étroit pour la propulser au second tour de l’élection présidentielle. À l’évidence, la gauche jacobine – et plus exactement de la gauche montagnarde, car la Gironde était aussi une composante du club de Jacobins – porte des perspectives d’une brûlante actualité en matière d’identité républicaine et de transformation sociale.
Ses propositions sont de nature à rassembler largement les Français. Elle promeut l’indivisibilité de la République et la péréquation territoriale, articulées autour des départements et des communes, comme relais de l’État. Un bilan critique de la décentralisation, source de métropolisation et de désertification rurale doit, à cet égard, être dressé.
« Le retour de l’engagement de l’État en faveur d’une République plus forte et plus sociale est désespérément attendu par tant de nos concitoyens »
Elle entend réinvestir dans la santé, l’éducation et mettre un terme à l’austérité dans les services publics, quoiqu’il en coûte, mais aussi revaloriser les minima sociaux, les prestations sociales et les bas salaires. Elle peut restaurer l’autorité de l’État, donner les moyens nécessaires à la police et à la justice et rétablir la justice fiscale pour euthanasier la rente financière. Elle n’a aucune pudeur pour entrer au capital des banques et des entreprises stratégiques afin de planifier les relocalisations et la transition écologique.
À cet égard, la loi Florange, portée par Arnaud Montebourg lorsqu’il était ministre de l’Économie, atteste que la puissance publique peut affronter les intérêts privés de court terme en dotant l’État et les investisseurs de long terme de droits de vote doubles. La puissance de feu de l’État a malheureusement été affaiblie par les vagues successives de privatisations consacrant l’abandon de la politique industrielle.
Le retour de l’engagement de l’État en faveur d’une République plus forte et plus sociale est désespérément attendu par tant de nos concitoyens ! C’est ce projet, mobilisateur d’un peuple frondeur et profondément attaché à l’indivisibilité de la Nation, que nous pouvons faire vivre aux côtés d’Arnaud Montebourg, devenu le porte-voix d’une France jacobine, porteuse d’égalité et de progrès social.
Tribune publiée sur Marianne.net le 27/08/2021