La réforme des retraites peut-elle fabriquer autre chose que des perdants ?

Selon l’ancien député européen, maître de conférences à l’Université de Paris I, la réforme envisagée obéit à un objectif purement austéritaire avec en ligne de mire la baisse des pensions de retraite.


Les régimes de retraite des salariés du privé et des fonctionnaires ne sont pas en faillite. Ils ont été réformés par des gouvernements successifs qui ont modifié les règles de calcul (pour réduire le taux de remplacement des pensions), puis programmé l’augmentation progressive du nombre de trimestres cotisés, compte tenu des projections macroéconomiques et démographiques du Conseil d’Orientation des Retraites. Une alternative eût été de jouer sur la troisième variable d’ajustement, le relèvement des taux de cotisations sociales (et la suppression de niches sociales). Écartée pour son incompatibilité avec des politiques de l’offre dont l’effet de ruissellement demeure hypothétique, cette voie s’avèrerait pertinente, à l’heure où la part des profits dans la valeur ajoutée et la part des dividendes versés atteignent des records historiques. Tel n’est pas l’objectif de la réforme du gouvernement, qui souhaite instaurer un système par points sans modifier les taux de cotisations afin de préserver les profits.

JEAN-PAUL DELEVOYE, DURÉES DE COTISATION, ET AGE PIVOT

Cette philosophie est notoirement écornée par la feuille de route fixée à Jean-Paul Delevoye au cours de la rédaction de son rapport publié en juillet 2019. Les réflexions initiales de l’ex-Haut-Commissaire, devenu membre du gouvernement, n’incluaient ni l’âge pivot à 64 ans, ni la référence à une quelconque durée de cotisation. Ces paramètres lui ont été tardivement imposés par l’exécutif pour atteindre un objectif purement austéritaire, réduire à moyen terme la part des retraites en-dessous de 14% du PIB, leur part actuelle, alors que l’espérance de vie est présumée augmenter !

A l’instar des bornes d’âge introduites pour équilibrer les régimes complémentaires par points (AGIRC pour les cadres et ARRCO pour les salariés), l’âge pivot à 64 ans fut en premier lieu suggéré par le gouvernement lui-même afin d’éviter qu’un nombre trop important d’individus ne partent à 62 ans, âge légal, et ne détériorent ainsi l’équilibre comptable du régime. Le commissaire s’exécuta en proposant un bonus au-delà de 64 ans comme « carotte » incitant à travailler plus longtemps. Les experts du gouvernement suggérèrent pour leur part « le bâton » d’une décote frappant celles et ceux qui auraient l’idée de liquider leur pension avant l’âge pivot. La décote représente une double-peine pour ceux qui choisissent de partir avant puisqu’ils touchent déjà, dans ce système, une retraite plus faible en ayant accumulé moins de points.

Le compromis vers lequel on semblait s’orienter avant l’été était une combinaison de la décote avant l’âge pivot avec un bonus au-delà. Las, la CFDT, putative partisane de la réforme, objecta que l’introduction d’une borne d’âge se ferait au désavantage des salariés les moins qualifiés. Ces derniers commencent à travailler plus tôt que les cadres et ont une espérance de vie (en bonne santé ou non) plus faible au moment du départ. C’est la raison qui poussa le président de la République lui-même à intervenir en faveur la fixation d’une durée de cotisation, plutôt que d’un âge pivot pour obtenir le soutien de la première centrale syndicale. Cette option fut donc intégrée dans le rapport par l’ex Haut-Commissaire, qui indiqua néanmoins sa préférence pour la borne d’âge.

Pour autant, la réforme peut-elle fabriquer autre chose que des perdants ? Le basculement du calcul des pensions sur la carrière entière – au lieu des vingt-cinq meilleures années (dans le secteur privé) et des six derniers mois (dans le secteur public) -, ainsi que l’ajustement de la valeur du point de telle sorte que la part des dépenses du régime soit inférieure à 14% du PIB, aboutiront inévitablement à baisser les pensions. Les perdants sont invités à jouer leurs retraites en bourse en souscrivant aux régimes par capitalisation appelés à se développer, encore faut-il qu’ils aient les moyens d’épargner. Enfin, cette réforme permettra moins bien que les régimes spéciaux (qui ne concernent que 3% de la population active…) de tenir compte de la pénibilité et de la spécificité de 42 métiers et professions. Après la révolte de « gilets jaunes » et suite à son refus de créer le moindre poste et lit d’hôpital pour calmer la colère des urgentistes, le gouvernement est assis sur une marmite sociale en ébullition. L’impopularité de sa réforme sera grandissante à mesure que le flot de manifestants susceptible de se déverser alertera tout un chacun qu’il devra à nouveau travailler plus pour gagner encore moins.

Tribune parue dans les pages Débattons sur Marianne.