Derrière la baisse du chômage, une masse d’emplois de serviteurs précarisé

La publication de l’étude annuelle de l’OFCE sur les effets de la politique du gouvernement a suscité l’agacement du ministre de l’Economie et des finances. Contestant « l’esprit et la méthode » de ce travail, Bruno Le Maire affirme que la décrue du chômage en 2019 atteste du bien-fondé de la politique menée. Celle-ci est pourtant loin d’atteindre tous les objectifs annoncés.

L’ÉTUDE DE L’OFCE

Fort rigoureuse sur le plan méthodologique, la simulation de l’OFCE montre que « l’effet cumulé des mesures socio-fiscales de 2018 à 2020 reste très fortement marqué par le geste fiscal effectué en direction des ménages les plus aisés en début d’année 2018 » (suppression de l’ISF sur la détention d’actions et d’obligations, « Flat tax » sur les revenus qu’ils procurent). Elle indique que « l’effet cumulé des mesures prises devrait être négatif pour les 10% des ménages les plus pauvres » (suppression des APL, baisse ou suppression des allocations pour de nombreux chômeurs, désindexation de prestations sociales vis-à-vis de l’inflation). Contrairement aux allégations faites par Bruno Le Maire, l’étude intègre bel et bien les effets la prime d’activité et du « zéro reste à charge ». Elle souligne que les classes moyennes, destinataires de la suppression de la taxe d’habitation, sont les principales bénéficiaires des « mesures gilets jaunes » (baisse de l’impôt sur le revenu, prime d’activité, défiscalisation des heures supplémentaires), ayant pour effet de soutenir la demande. Enfin, les collectivités territoriales voient leur budget affecté par la baisse des dotations de l’Etat, dont le déficit est lui-même tributaire en 2019 du « double CICE » versé aux entreprises (crédit d’impôt versé au titre de l’année 2018 et transformation en baisse pérenne de cotisations patronales).

C’est surtout « l’esprit »de l’étude, suspectée de propager l’idée que la baisse des inégalités passe par la redistribution, que critique le ministre. Pourfendeur des politiques de redistribution, qu’il accuse d’accroître la pression fiscale, le chômage et la pauvreté, Bruno Le Maire soutient que la politique menée par le gouvernement est susceptible de s’attaquer aux inégalités en encourageant le travail. Elle commencerait à provoquer ses effets, comme en témoigne la décrue du chômage.

LA BAISSE DU CHÔMAGE EST L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

Mais cette baisse du chômage est l’arbre qui cache la forêt. Le chômage a bien baissé de 3% en 2019, alors même que la progression du PIB décroît depuis 2017, où elle avait atteint 2,2%. La croissance fut ensuite de 1,7% en 2018 et de 1,2% en 2019. En baisse de -0,1% au dernier trimestre 2019, elle serait de 1,1% en 2020. En outre, les gains de productivité ont été nuls au cours des deux premiers trimestres 2019. Tout ceci signifie que la croissance est en passe de se retourner, mais qu’elle s’avère plus riche en emplois qu’auparavant (la croissance étant quatre fois plus riche en emplois qu’au cours des Trente glorieuses où les gains de productivités étaient de 4% par an). Les créations d’emplois sont localisées dans les secteurs à faible valeur ajoutée, tels que la restauration, le commerce, les services aux personnes et le bâtiment. Ces secteurs traditionnels ont aussi bénéficié de l’abaissement du coût du travail et des réformes du code du travail. Ils sont gourmands en emplois peu qualifiés, rémunérés au niveau du SMIC. Ils sont fortement tributaires de la conjoncture, dont la tenue provisoire explique la baisse des demandeurs d’emplois de catégories B et C (occupant des emplois à courte durée). Mais attention ! Autant les entreprises ont peu à peu transformé les CDD en CDI depuis la reprise de 2017, autant un retournement pourrait entraîner une forte recrudescence du chômage, dès lors que l’assouplissement du code du travail permet aux entreprises de réduire aisément les salaires et l’emploi face à une baisse d’activité.

Nonobstant ces résultats, la politique de l’offre est loin d’avoir atteint ses objectifs, à savoir une croissance forte, tirée par l’investissement dans les secteurs innovants, des gains de parts de marché à l’exportation, le tout combiné à une « flexisécurité » censée drainer les chômeurs, placés en formation, vers lesdits secteurs à forte valeur ajoutée. Si l’on suit le raisonnement des tenants de la pensée unique, la baisse du coût du travail doit stimuler l’investissement et l’emploi, tandis que le durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation du chômage doit inciter les chômeurs à travailler ou à se former pour s’adapter aux compétences requises dans les secteurs en pointe où l’investissement, stimulé par le CICE et la baisse enclenchée de l’impôt sur les sociétés, s’orienterait tôt ou tard. Malheureusement, les faits montrent que les chômeurs les mieux formés ont peu de perspectives, hors des emplois instables de secteurs traditionnels.

COHÉSION SOCIALE MENACÉE, TISSU PRODUCTIF DÉCHIRÉ

La reprise de l’investissement de 2017 fut tirée par la demande mondiale, des taux d’intérêt bas, la baisse de l’euro (favorable aux exportations) et des prix du pétrole (ayant eu un effet bénéfique sur la demande domestique). Mais l’investissement dans les secteurs à forte valeur ajoutée et les dépenses en recherche et développement restent modérés. La montée en gamme de l’industrie française ne se produit pas. Le luxe, l’aéronautique, les vins et spiritueux et le tourisme restent les seuls atouts commerciaux de la France. Alors que le taux de marge des entreprises (la part des profits dans la valeur ajoutée) a atteint un pic historique de 33% en 2019, la part des profits distribués sous forme de dividendes s’est encore accrue. Ces derniers, sous-fiscalisés grâce à la « Flat tax » sur les revenus du capital, ont augmenté de 12,3%, bien plus que l’investissement.
Ils alimenteront des rachats d’actions faisant monter la valeur du patrimoine mobilier, désormais défiscalisés, des plus aisés.

@LiemHoangNgoc  

Economiste, ancien député européen, maître de conférences à l’Université de Paris.