Européennes: changer l’euro ou assumer d’en sortir

À un mois des élections européennes, face à la volonté de la France Insoumise de «sortir des traités sans abandonner l’euro», Liêm Hoang Ngoc, ancien député européen, et Olivier Spinelli, porte-parole de la Nouvelle Gauche Socialiste, notent les «insuffisances du programme européen de LFI» et appellent à une position claire sur la question de l’euro.

Au sommet « plan B » de Stockholm du 13 avril,   

La France Insoumise a officiellement abandonné la menace crédible d’une de sortie de l’euro pour se recentrer sur la renégociation des traités dans le cadre de l’euro (Lire ce compte-rendu de son représentant). Cette nouvelle ligne tranche-t-elle fondamentalement avec celle défendue par Benoît Hamon et Yanis Varoufakis, voire même avec « la renaissance de l’Europe » à laquelle aspire le président de la République, qui en appelle également à un changement de traité ? Il est, en tous les cas, peu probable qu’elle permette de sortir du statu quo actuel.

Disons-le tout net, l’euro continuera à dysfonctionner sans une intégration démocratique plus poussée et sans un budget européen conséquent, nécessaire pour organiser les transferts de ressources permettant de faire converger tous les pays vers le haut et d’organiser la transition écologique. A défaut, l’harmonisation fiscale et sociale serait impossible. L’austérité budgétaire et salariale, source de chômage et d’inégalités, resterait le seul moyen permis pour rétablir la « compétitivité » des pays en difficulté. L’intégration par le haut ne peut voir le jour qu’à condition que les Etats membres de la zone euro s’entendent pour réorienter la construction européenne. Si tel n’était pas le cas, une stratégie alternative consisterait à sortir de l’Union économique et monétaire afin de recouvrer une dose appréciable de souveraineté monétaire et budgétaire, de s’affranchir des textes organisant l’ouverture à la concurrence et de conclure des accords commerciaux à même de protéger nos industries et nos emplois. A l’heure où la déflation menace, cette politique ne serait pas inflationniste et ne minerait donc pas le patrimoine des épargnants.

Le nouveau programme européen de LFI n’explore ni l’une, ni l’autre de ces pistes.

Les insuffisances du programme européen de LFI

La monnaie est un attribut de la souveraineté politique. Si le choix de l’euro devait perdurer, l’extension du pouvoir du Parlement européen au détriment du Conseil et de la Commission contribuerait à faire émerger démocratiquement un putatif embryon d’intérêt général européen. Un tel saut supranational est-il mûr ? Il ne paraît pas souhaité par les Etats, jaloux de leurs prérogatives, ni par les citoyens, qui assimilent l’Europe à un monstre technocratique. C’est pourquoi, bien que l’extension du pouvoir du Parlement européen figure dans son programme, LFI met principalement l’accent sur la primauté du choix des Etats. Ses propositions dans le cadre de l’euro sont, dès lors, emplies de contradictions. En cas de renégociation des traités, ceci conduira de facto LFI à défendre l’élargissement des domaines de compétences relevant de la règle de l’unanimité au Conseil à travers « le droit à a désobéissance » aux textes menaçant l’intérêt national. C’est dans ce sens que LFI envisage l’éventualité du « blocage la contribution française au budget européen ». Mais cela exposera aussi tout projet d’harmonisation vers le haut des normes fiscales et sociales au veto des pays pratiquant le dumping fiscal et social qui ne manquent pas, d’ores-et-déjà, d’user de ce droit. L’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg et jadis le Royaume-Uni ont toujours refusé l’harmonisation fiscale. L’Allemagne s’oppose à la montée en puissance d’un budget communautaire financé par des euro-obligations et par un impôt européen sur les sociétés.

Le doute grandit, quant à la crédibilité de son discours, lorsque LFI déclare possible, en cas d’échec de la négociation, de sortir des traités sans abandonner l’euro pour construire des coopérations avec les pays qui le souhaiteraientConserver l’euro implique assurément de rester dans l’Union Economique et Monétaire (UEM), dans laquelle LFI propose pour sa part d’introduire… des « écluses douanières » nationales ! Outre que ceci est contraire au principe même du marché intérieur, la monnaie unique y est émise par une banque centrale indépendante, susceptible à tout moment de couper le robinet du crédit aux banques centrales des Etats réfractaires. Il existe certes des dérogations à la règle des 3%, encore qu’elles soient octroyées par la Commission moyennant des « réformes structurelles ». Mais les règlements s’appliquent implacablement et les directives doivent être transposées dans le droit national. En novembre 2017, les députés LFI avaient eux-mêmes renoncé à combattre à l’Assemblée Nationale la suppression de l’impôt sur les dividendes (que le programme l’Avenir en commun proposait d’augmenter) ; suppression imposée par une décision de la Cour de Justice Européenne et une Question de Priorité Constitutionnelle interprétant la directive « société mère-filiale ».

Vers un « nouvel Epinay » ?

Tirant les leçons de la duplicité du Parti Socialiste envers l’Europe libérale, nous avons pour notre part quitté le parti d’Epinay en 2015 pour nous regrouper dans la Nouvelle Gauche Socialiste. Nous avons participé à l’aventure qui a conduit La France Insoumise aux portes du second tour la présidentielle. Ce mouvement avait soulevé un espoir, en plaçant la répartition des richesses, l’écologie et la République au cœur de la campagne de son candidat. Cet espoir est désormais déçu. L’hyper-verticalité du mouvement, organisé autour d’un chef, ainsi que les postures de communication ont remplacé le travail programmatique de fond et l’éducation populaire qui avaient fait le succès de la campagne présidentielle. Nous l’avons quitté, en désaccord avec la préparation et la conduite de sa campagne européenne.

La bataille européenne est la mère des batailles pour changer de politique. Pour remobiliser nos concitoyens, massivement enclins à l’abstention, la clarté est de mise, comme elle le fut lors de la victoire du « non » au référendum de 2005, où la participation fut massive. Aucune force politique conséquente ne porte aujourd’hui les discours clairs précédemment exposés. L’extrême-droite détourne, comme d’habitude, l’attention vers l’immigration, tout en acceptant désormais le cadre de l’euro, comme en Italie. Toutes les forces, ou presque, préfèrent se replier derrière des postures électoralistes, impuissantes à changer la vie en Europe. Dans cette campagne, le camp du travail recule en ordre dispersé face à la liste libérale et face à un arc réactionnaire qui rassemblera, demain, les droites légitimistes et poujadistes. Après le désastre annoncé, il sera temps pour notre camp de se remettre autour de la table pour travailler à l’émergence d’un mouvement dépassant les vieilles maisons qui s’écroulent et dans lequel les sensibilités se respectent. Il faudra alors proposer un programme solide à celles et ceux qui doutent qu’une autre politique soit possible pour traiter la question sociale, l’urgence écologique et sortir du piège européen. Tel devrait être l’agenda du « nouveau congrès d’Epinay » qui se profile à l’horizon…

Signataires:

Liêm Hoang-Ngoc, ancien député européen;

Olivier Spinelli, porte-parole de la Nouvelle Gauche Socialiste

Tribune parue le 24 avril 2019 sur le Blog des invités de Mediapart