Les objectifs inavoués de la réforme des retraites

La dégradation du rapport actifs/inactifs et la baisse des gains de productivité placent de façon récurrente le régime par répartition sous tension. On comptait 4 actifs pour 1 inactif pendant les Trente Glorieuses. Il y en a 2 pour 1 aujourd’hui et il y en aura 1,6 pour 1 en 2050. La productivité du travail, qui croissait de 4% par an, augmente désormais de 1,1% l’an. Dans ces conditions, l’équilibre financier du régime peut être assuré par trois types d’ajustement : la hausse des cotisations, la baisse des pensions, l’allongement de la durée de cotisation. Les annonces faites par Jean-Paul Delevoye annoncent une nouvelle réforme. Les réformes de 1993, 2003 et 2010 ont joué sur les deux derniers leviers, en présupposant que la hausse des cotisations pénalise l’emploi. Elles avaient suscité des mouvements sociaux, toujours risquées pour les artisans de la pensée unique. Pour ces derniers, la mise en place d’un régime par points est le moyen d’obtenir le même résultat (réduire les pensions et augmenter la durée du travail au long de la vie) sans avoir à en négocier périodiquement les paramètres, afin de minimiser les sources de conflit social. Il permet de faire endosser par les salariés eux-mêmes « le choix » d’une baisse de leur pension ou, s’ils veulent en préserver le niveau, celui d’un allongement de leur durée de cotisation. La réforme supprime les régimes spéciaux, dont la vocation était de tenir compte de la spécificité et de la pénibilité de certains métiers.

Le prérequis de la réforme est à nouveau de ne pas alourdir le coût du travail dans le cadre d’une politique de redressement du taux de marge des entreprises. Les cotisations patronales ne seront donc pas relevées. Un euro cotisé ouvrira à l’acquisition de points. En fin de parcours, pour obtenir le montant de la pension, il faudra multiplier le nombre de points acquis par un coefficient, croissant avec la durée de cotisation. Ce coefficient dépendra de l’espérance de vie au moment de l’âge de départ. Il appartiendra donc à chaque ayant-droit de choisir le moment de son départ, en fonction du niveau de pension qu’il souhaite percevoir. Il pourra, le cas échéant, recourir au système par capitalisation, dont le gouvernement entend favoriser le développement. En cas de déficit, la valeur du coefficient sera abaissée, ce qui conduira à une baisse des pensions, ou incitera les ayants droit à ajuster leur durée de cotisation. A l’instar de la fixation des cotisations et prestations dans les autres branches de la sécurité sociale, il est probable ce soit le Parlement qui décide de la valeur des coefficients.

Tels sont les contours de la future réforme, dont la promotion est faite au nom de la préservation du système par répartition. Elle aboutira à dégrader la situation des futurs retraités, en sanctuarisant l’actuel partage salaire-profit. Le taux de marge (32% de la valeur ajoutée) est désormais supérieur de 2 points au taux de marge moyen des 30 Glorieuses (30%). Cela représente 44 milliards d’euros qui alimentent les profits (au détriment des salaires et donc des cotisations), dont les deux tiers sont désormais versés sous forme de dividendes… Or un retour à la retraite à 60 ans à taux plein « n’aurait coûté que » 18 milliards. Un relèvement des cotisations sociales (et la suppression des niches sociales) aurait permis de préserver le pouvoir d’achat des retraités, tout en réduisant la durée du travail au long de la vie, sans détériorer excessivement le taux de marge…

 

Liêm Hoang-Ngoc (Maître de conférences à l’Université de Paris 1)