Pourquoi l’Europe fait moins que Biden

À l’heure où l’État fédéral américain met sur pied un plan de relance de 3 000 milliards de dollars et propose un taux minimal d’impôt sur les sociétés à l’échelle mondiale, l’Union européenne reste incapable de lancer son Green New Deal et d’engager le chantier de l’harmonisation fiscale.


La faute en incombe aux Européens eux-mêmes, qui ont voulu la monnaie unique sans les instruments budgétaires et fiscaux permettant d’organiser la convergence des économies vers le haut et de faire face aux récessions. Le budget européen est « rikiki ». Pour en financer l’extension, il n’existe pas de Trésor européen, levant un impôt européen (consistant par exemple à prélever une fraction d’un impôt sur les sociétés harmonisé) et émettant des euro-obligations. Le pacte de stabilité (temporairement suspendu) limite le rôle des budgets nationaux.

Le déploiement de ces instruments nécessite une modification des traités en faveur d’une intégration politique accrue, que ni les citoyens de chaque État ni leurs dirigeants ne semblent souhaiter. De ce fait, bien que le traité de Lisbonne ait étendu le champ de la codécision – entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen –, les États conservent au Conseil la mainmise sur les questions fiscales et sur la négociation des recettes du budget communautaire, en disposant même d’un droit de veto incarné par la règle de l’unanimité.

Voilà pourquoi l’harmonisation fiscale, honnie par le Royaume-Uni, reste lettre morte, même après le Brexit. L’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas s’opposent à la mise en place d’une assiette commune et consolidée de l’impôt sur les sociétés, prélude à une harmonisation des taux. Seule la France défend franchement l’idée d’une taxe sur le chiffre d’affaires des Gafam, après avoir elle-même freiné l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Le taux minimal de 21 % proposé par Joe Biden a donc peu de chances d’être appliqué dans l’Union européenne.

Voilà pourquoi le plan de relance européen, porté à bout de bras par la France et l’Allemagne face à l’hostilité des pays « frugaux », est quatre fois moins important que le plan américain. La Cour de Karlsruhe entend même contraindre l’Allemagne à en bloquer l’application, jugeant l’émission d’une dette commune potentiellement anticonstitutionnelle.

Au Parlement européen, parmi les groupes qui siègent à gauche de l’hémicycle, les députés S&D (socialistes et démocrates) et verts admettent peu ou prou que, dans le cadre de l’euro, l’alternative au dumping social passe par des avancées vers une union de transferts. Ce sujet est négligé par la GUE (Gauche unitaire européenne), où siègent les insoumis, qui ne remettent pourtant plus en cause la monnaie unique. Leur candidat à l’élection présidentielle continue néanmoins de défendre l’extension du droit de veto et menace de suspendre la contribution française au budget, au nom de la souveraineté nationale. Pour autant, par crainte d’apeurer un électorat attaché à l’euro, il n’ose plus proclamer que la souveraineté réelle consiste à disposer du pouvoir de battre monnaie pour en user pour le bien commun, ce qui implique de sortir de l’euro en cas d’enlisement du projet européen…

Par Liem Hoang Ngoc – Tribune publiée sur Politis.fr le 05/05/2021