« L’impôt universel » peut-il mettre fin à l’injustice fiscale ?

La justice fiscale compte parmi les thèmes mis en avant dans les cahiers de doléances du grand débat national.  Pour favoriser le consentement à l’impôt, Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires, a émis la proposition d’un « impôt universel », faisant contribuer chaque citoyen à l’impôt sur le revenu. Une tranche supplémentaire serait créée pour les plus aisés, en écho à la proposition faite par Laurent Berger. A priori séduisantes, ces propositions ne mettront en rien un terme à l’injustice qui caractérise notre système de prélèvements obligatoires où l’effort fiscal, rapportant l’ensemble des prélèvements (directs et indirects) sur le revenu de chaque contribuable devient carrément dégressif pour les 1% des foyers les plus aisés.

 

Au prétexte de la solidarité avec les classes moyennes sur qui pèse l’impôt sur le revenu (IR), la proposition d’un « impôt universel » entend faire symboliquement payer les ménages non-imposables. Or le système fiscal français met déjà à contribution les plus pauvres au premier centime d’euro qu’ils dépensent, par l’entremise de deux « Flat Tax », impôts proportionnels non progressifs.

L’un est un impôt indirect, la TVA, dont le taux normal a été porté à 20% en 2013 pour financer une partie du Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi. Alors que les recettes de impôts sur le revenu (dont le rendement est de 72 milliards) ne représentent que 25% des recettes fiscales, le rendement de la TVA (153 milliards) est de 53% desdites recettes. En matière de fiscalité indirecte, il faut également mentionner les impôts indirects entrant dans le cadre de la fiscalité écologique et rapportant près de 40 milliards. Or la fiscalité indirecte (et particulièrement la TVA) est carrément dégressive : les plus riches consacrent une part plus faible de leur revenu à la consommation alors que les plus pauvres en dépensent l’intégralité.

L’autre « Flat Tax » est la CSG, deuxième impôt sur le revenu qui frappe au même taux les riches et les pauvres percevant une même catégorie de revenus. D’un rendement de 100 milliards, supérieur à celui de l’impôt sur le revenu, la CSG est affectée au budget de la sécurité sociale (et désormais au financement de l’assurance chômage) pour compléter la cotisation sociale.

Instaurer la justice fiscale implique à tout le moins de réduire le poids de la fiscalité directe et de faire des impôts sur le revenu que sont l’IR et la CSG les pivots du financement des dépenses publiques universelles (celles-ci comprenant une partie des dépenses sociales santé et famille) parce que ces impôts peuvent être rendus progressifs (la CSG) ou plus progressifs (l’IR).

Mais cela suppose tout d’abord de revenir sur préférence pour la « Flat Tax », défendue par le président de la République au cours de sa campagne électorale et qui l’a conduit à créer une nouvelle « Flat Tax » sur les revenus du capital, permettant au revenus financiers (composant l’essentiel du revenu des plus aisés) d’échapper au barème progressif de l’IR.

Cela nécessite ensuite (afin de pallier l’objection du Conseil constitutionnel à l’endroit de la précédente proposition de CSG progressive faite en 1999) d’harmoniser les assiettes de la CSG et de l’IR, sans toutefois les fusionner afin de préserver le principe d’affectation de la CSG à la sécurité sociale. L’assiette de l’IR est en effet familialisée (le mécanisme du quotient familial permet de tenir compte les charges de famille, à revenu équivalent) alors que celle de la CSG est individualisée. Individualiser les deux assiettes conduirait, par exemple, à remplacer le mécanisme du quotient familial par un crédit d’impôt forfaitaire par enfant, plus juste pour les familles pauvres, souvent exclues du mécanisme du quotient familial.

 

La deuxième proposition phare évoquée dans le débat public consiste à créer une tranche supplémentaire à l’IR afin de faire participer les « premiers de cordée » à la solidarité nationale, selon leurs facultés contributives. Cette mesure n’est tout d’abord opérante qu’à condition de reconsidérer les niches fiscales qui permettent aux foyers les plus aisés de réduire substantiellement leurs impôts. Ensuite, rendre l’IR plus progressif ne remplace pas l’ISF. L’IR est un impôt sur les flux de revenus, dont la partie non-consommée vient alimenter le stock de patrimoine des plus riches, composé à 80% de valeurs mobilières. L’ISF est un impôt sur ce stock de richesses. Il avait pour vocation de compléter l’impôt sur les flux de revenus, afin de couper les branches de l’arbre de la rente, à l’endroit souhaité, tous les ans. La détention de valeurs mobilières représente 80% du patrimoine des 38 000 foyers les plus riches de France. Ces foyers à très hauts revenus ont vu leurs revenus financiers croître plus rapidement que le PIB et ont augmenté leur épargne, celle-ci se portant essentiellement sur le rachat d’actions déjà émises en bourse. Une infime partie de s’est portée sur de nouvelles émissions d’actions, celles qui financent les nouveaux investissements. Ces dernières représentent actuellement 0,2% des actions acquises en bourse. Par conséquent, sur le cadeau fiscal de 3,5 milliards que représente la transformation de l’ISF en IFI, 70 millions, tout au plus, financeront l’investissement. C’est pourquoi la suppression de l’ISF ne « ruissellera » pas dans l’économie réelle. Elle accroîtra les inégalités de patrimoine et de revenus, dans la mesure où la fin de l’ISF encourage désormais la détention d’actions, porteuses de dividendes en hausse et dont la taxation échappera au barème de l’IR, quand bien même ce dernier était rendu plus progressif…

Voilà pourquoi la justice fiscale requiert au préalable le rétablissement d’un impôt sur la détention de titres et la réintégration des revenus financiers dans le barème progressif de l’IR.

 

Liêm Hoang-Ngoc (Maître de conférences à l’Université de Paris 1, ancien député européen)

 

Marianne.net, 26 février 2019