Quelle utilisation de l’argent en Europe pour répondre aux besoins sociaux ? 

L’Humanité, pages Idées et débats, 29 avril 2019

Le point de vue de Liêm Hoang-Ngoc (Ancien député au Parlement européen)

Chaque communiste connaît la signification de la formule générale du capital A-M-P-M’-A’, avec A’>A. Les capitalistes utilisent l’argent A pour produire n’importe quelle marchandise M’, en exploitant dans la sphère de la production P d’autres marchandises M (les salariés et les ressources naturelles de la planète). Le capitalisme financier tend même à se détourner de la production pour obtenir des plus-values immédiates. Il recherche directement la séquence A-A’ par l’invention de produits financiers tels que ceux qui furent à l’origine de la crise de 2008. Orienter A vers la transition écologique et la production de biens socialement utile, accessibles à tous : tel est l’horizon d’un programme éco-socialiste, organisant la transition vers le communisme.

L’argent peut être mobilisé par les Etats par l’emprunt, afin de drainer l’abondante épargne des classes riches vers des projets utiles. Les taux d’intérêt ont considérablement baissé car la Banque centrale européenne a mis sur pieds des programmes de rachat de titres publics, ce qui a pour effet de détendre les taux lors de leur émission. Malheureusement, les textes européens empêchent les Etats d’engager les investissements publics massifs souhaitables. Les dérogations à la règle des 3% sont accordées en contrepartie de « réformes structurelles » aboutissant à privatiser les biens communs et à déréglementer le marché du travail. La généralisation des politiques d’austérité dans tous les Etats membres a fait de la zone euro la région où la croissance est la plus faible du monde. Craignant la déflation, la BCE a mis sur pieds des politiques non conventionnelles. Elle a octroyé aux banques plusieurs milliers de milliards à taux zéro, leur permettant de se délester de produits toxiques qu’elle a pris en pension. Elle a injecté une deuxième vague de liquidités, dont l’accès est conditionné à l’octroi par les banques de crédits dans l’économie réelle (à l’image de la politique de « crédit sélectif », jadis défendue par Paul Boccara). On pourrait évidemment suggérer à la BCE de financer directement et à taux zéro des programmes publics, mais ses statuts le lui interdisent. Leur strict respect est la ligne rouge pour l’Allemagne, qui n’a accepté le projet d’union économique et monétaire qu’à la condition que la BCE soit conçue sur le modèle de la Bundesbank et qu’aucune mutualisation des dettes publiques n’ait lieu.

Là se situent les limites de la stratégie de renégociation des traités dans le cadre de l’euro. Sans menace crédible de sortie de l’euro, les autres Etats n’ont aucune raison d’accepter une réorientation des textes, d’autant que la règle de l’unanimité, s’appliquant à la fiscalité et aux recettes du budget européen, permet à l’Allemagne, l’Irlande les Pays-Bas et le Luxembourg de bloquer, au Conseil, tout projet volontariste. Seule une plus grande intégration politique pourrait les y contraindre.

A défaut d’une telle réorientation, un plan B consisterait en une sortie unilatérale de l’euro, ou en une sortie collective, accouchant d’une monnaie commune (et non unique) entre les protagonistes. Dans ce dernier cas, les monnaies nationales pourraient fluctuer dans des marges renégociables, afin de résorber – sans pression sur les salaires – les déséquilibres entre les pays artisans du projet ; la monnaie commune servant aux échanges extérieurs à la zone de coopération ainsi constituée. Ces alternatives ne sont plus à l’étude dans la plupart des états-majors (dont celui de La France Insoumise), où les yeux sont rivés sur des sondages indiquant une préférence des Français pour l’euro.